mardi 22 septembre 2015

Sortir de la zone



On s’était déjà parlé brièvement avant que je ne parte en Inde.
 
Pas trop mon genre de prime abord mais belle tête, cheveux longs. 

Musicien, moi qui a si peu l’oreille musicale.

C’est même ce que j’ai de moins, l’oreille musicale. 
Incapable de reconnaitre les Beatles ou presque. 
Pour vrai.

Et.

C’est comme si on ne se comprenait pas trop par écrit, dans notre humour et dans notre ton. Un peu trop du genre zen/psycho pop/paix universelle sur la terre…il me donnait l’impression d’analyser beaucoup, d’être froissé rapidement, un peu froid aussi, ou juste moins empressé.

Ça ne coulait pas tout seul, on va dire ça de même.

C’était resté comme ça. 

J’étais partie en Inde en lui laissant mon adresse de courriel s’il voulait poursuivre. 

Il n’a pas poursuivi. 

En me remettant active sur le site, il m’a recontacté. 

Pis ton voyage?

Quelques échanges. Il semblait blasé des rencontres, peu pressé selon ce que je cru en déduire.

Je supputais bien ce que je voulais en analysant entre les lignes. Ce qui n'est, naturellement, pas si évident.

On a fini par se donner un premier rendez-vous qui est tombé à l’eau.

Puis, finalement nous avons opté pour un thé de fin de soirée.

-Tu viens souper avec moi ce soir? de me texter ma copine Mélanie.

-Ben, non, j’ai une date? que je lui réponds.

-Flush ta date, suis surement bien plus intéressante que lui

-Indéniablement Mel que t’es ben plus hot que ma date, mais c’est pas mon genre de flusher et nous avons déjà remis une fois, vais y aller.

-Ok, tu me raconteras.

(…)

Je suis toujours un peu craintive, lors d’une première rencontre, de ne pas reconnaitre le gars. De chercher et de scruter les gens dans une foule à la recherche de ressemblances et du bon gars seul à la table, s’il y est déjà, ou de regarder attentivement les gars qui entrent, s’il n’y est pas. 
Entre le 2 d et le 3 d, des fois, je suis perplexe et je déteste ça.

En marchant sur St-Denis, je vois un grand aux cheveux longs avec un genre de poncho noir en train de mettre des pièces dans un parcomètre. 

De toute évidence,c'est ma « date ».

Comme c’était un peu ridicule de le dépasser et de faire comme si ce n’était pas lui je me suis campé à côté en lui disant: 

 « salut, je crois que nous avons une date ensemble! »

Il m’a regardé, « oui, j’crois bien mais t’as-tu un deux dollars pour la machine? Sinon je retourne dans mon char chercher ma carte»

Suis partie à rire, j’ai fouillé dans mon sac, on a cherché le 2$ ensemble. 
Lui ai dit que c’était un peu comme donner du change à un quêteux et que si ça se trouve c’était même pas vraiment ma date mais un gars pas rapport dans la rue et qui vient de se faire un deux piasses facile.

Il me dira plus tard qu’il s’était dit, en se tournant vers moi, « j’espère vraiment que nous avons une date ensemble parce qu'elle est cute en criss! »

Plus grand que moi. Zéro mon genre à priori. Bien que. Merde. Il fitte dans tous mes fantasmes. T’sé Gabriel Arcand dans le Déclin de l’empire américain? Ce fantasme du mauvais garçon? Du bum? 

Voilà, il était devant moi.

Super sociable, c’est un chanteur qui fait de la scène, et ça parait. 

Belle voix naturellement, des mains de guitariste droitier. Des bagues aux doigts, un anneau dans l’oreille…zéro mon genre. 

À priori.

On s’est assis. Il a demandé le nom de la serveuse, ce qui était le plus santé sur le menu, a rigolé avec les filles dans le coin du salon. 

Un gars de show qui séduit les foules. 

C’était simple. On a commandé du thé parce que nous étions dans un salon de thé. Gingembre et curcuma pour lui. Un bum qui boit des trucs granoles.

Puis on s’est jasé ça. J’ai encore une fois enlevé mes souliers pour me caller sur les coussins.

-T’as vraiment des beaux pieds!

J’ai ri.

Un parcours de vie d’artiste qui a lâché l’école vite, qui a eu un enfant jeune, qui est déjà grand père. Belle relation avec sa fille. Il a commencé à jouer de la guitare à 18 ans en recevant celle de son frère qui venait de mourir. Il a roulé sa bosse et chante maintenant dans un groupe. Large répertoire. Pogne pas mal avec les petites madames mais une vie sentimentale plutôt tranquille pour un gars de scène, qu’il me dit.

On s’est fait mettre dehors du salon de thé.

Il a payé. 

T’es certain que t’as assez de change? Que j’ai ricané.

Il a ri. 

T’es baveuse un peu toi, j’aime ça!

Il m’a ramené à ma voiture.

-On se revoit quand? J’ai vraiment envie de te revoir.

-Je ne sais pas trop. On se texte? T’es vraiment hors de ma zone de confort. J’aime ça par contre, ça me séduit, mais c’est vraiment un monde différent du mien. 

(Et je sais surtout que j'ai besoin, là, maintenant, d'un truc fou, hors zone, qui clashe un peu, qui déménage, qui me confronte, qui me bouscule, qui choque, qui me choque aussi. Besoin d'explorer des univers parallèle.)

-Tu sais, suis pas un vrai bum.

Et, je le crois.

Et, on s’est embrassé.

Et,

Fuck qu’il embrasse bien.

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