mardi 15 décembre 2015

En parapluie



Tous les jours.

Et même, plusieurs fois par jour.
 
Par texto, par courriel, par Facebook, par Facetime, par snapchat.

On s’envoie des liens, des images, des vidéos.

Sa promenade à vélo dans les jardins de Versailles, la musique que je suis en train d’écouter pendant que je cuisine, le dernier article qui m’a fait sourire, la photo d’un coin de Montréal que nous avions arpenté ensemble, son repas avec des amis, son frère qui joue de la guitare, un extrait d’un texte sur le désir. 

Son après-midi qui est alors mon matin et ma soirée qui est alors sa nuit nous fait nous retrouver.

C’est un couche-tard et je l’attrape souvent au lit, torse nu, avec toujours au cou ce collier indien que je lui ai ramené. 

Il me porte sur sa peau, contre lui, de me dire.

« J’ai envie de te présenter à mon frère, on se facetime? »

J’ai vu son frère quelques minutes et on a parlé ensuite près d’une heure. 

Je lui ai raconté l’avocat et la nuit à l’hôtel comme je lui avais parlé du photographe et de l’autre qui avait suivi. 

Il m’a raconté sa rencontre avec une ancienne maitresse, le plaisir de retrouver un contact charnel et la recherche, un peu vaine, de son regard. 

On parle de nous, ce qu’on recherche, ce qu’on ne retrouve pas, ce qui nous anime.

On s’écoute, on se questionne un peu, on laisse des silences aussi.

On partage nos expériences tout en faisant attention à l’autre.

Nous ne sommes pas jaloux. 
La jalousie n’aurait pas sa place dans notre relation, elle n’aurait pas de sens. Elle serait même totalement déplacée. Et, étrangement, nous nous sentons au-dessus de ça avec notre amour en parapluie. Cet amour non hermétique et qui n’empêche pas d’aimer autrement d’autres corps, d’autres personnes. Cette impression de ne pas être menacée du tout par ça, c’est sans doute ce que j’aime le plus de ma relation avec lui.

Confortable à tous les niveaux.
Elle l'est.

Autant nous étions pudiques sur nos sentiments mutuels en présence, autant  la distance nous amène à nous ouvrir. Comme si nous pouvions parler d’amour, du notre, plus librement. 

Hier, je lui ai présenté ma mère et ma sœur.
Il m’a accompagné pendant que je me maquillais, que je préparais le repas, que je riais avec mes enfants. 

Il était là comme il l’est souvent. 

Simplement
À sa manière.

Doux. 

Mes enfants l’aiment beaucoup sans doute parce qu’il me fait du bien et qu’ils sentent qu’il ne peut me faire mal. 
Sébastien c’est Sébastien.

Et.

Il viendra peut-être en janvier.

jeudi 3 décembre 2015

Avoir le droit



Il m’a embrassé avant même que l’entrée n’arrive.

Comme ça, par-dessus la table.

Au-dessus des assiettes, entre deux cuillères de potage aux tomates, en plein milieu d'une phrase.

Il ne pouvait résister, parait-il.

Lèvres confortables, il embrasse bien.

Il sent frais surtout.

Citronné.

J’ai ri.

« C’était vraiment notre premier baiser? Comme ça pendant la soupe aux tomates? Fuck, j’peux pas croire que ça va être notre plat, de la soupe aux tomates. »

Il a ri.

On a parlé sans arrêt, sans pause.

Ça roulait solide pour une première date.
Malaise zéro et absence de silence.
Confortable de toutes les manières. 

Beau restaurant, bons vins qu'il avait apportés, belle ambiance.
Chaud dedans par contraste avec la pluie froide du dehors.

On a fermé la place et il est allé payer.

Je laisse rarement payer mais là c’était simple et évident qu’il s’en chargeait. Comme il s'était chargé du vin et comme il allait se charger du reste. De toute évidence, ça n’allait pas le ruiner d’une miette.

Puis, on s’est ensuite demandé ce qu’on allait faire.

Il reste encore avec son ex, je n’amène personne chez moi.

Au fait, c’est peut-être encore sa blonde. 

Parait que non, mais les gars, des fois, souvent, ça dit ben des affaires. 

Il ne cherche pas des one nights, ça aussi c’était écrit sur sa fiche. 

Mais les gars, des fois, souvent, ça dit ben des affaires.

« Ça te tente d’aller à l’hôtel? »

Suis partie à rire.

C'était encore et toujours sur ma liste des choses qui me tentent et qui sont différentes, excitantes, possibles. Aller faire l’amour, après un premier souper, dans un hôtel.

Parait que c’est sa première fois pour lui aussi. 
Parait. 

Mais les gars, des fois, souvent...

De toute manière la décision m’appartenait. Et je l’ai prise en fonction que c’était peut-être un homme marié qui va des fois à l’hôtel avec des filles rencontrées sur le net. 
Ou un gars en processus de séparation et qui va trouver du réconfort ou du courage ou de l’assurance avec une autre. 
Ou une manière de faire chier l’ex aussi, un rebond, un tremplin, un test?
Qui sait vraiment.
C’est gratuit mon affaire et ce n'est pas du tout ce qu’il me disait mais bon, c’est un avocat et il joue bien de la langue. 
Et les gars, des fois, souvent, ça dit encore ben plus d’affaires quand arrive la possibilité de s’étendre contre un corps chaud et volontaire.

La chair si fragile et si faible.

Et, pourquoi pas au fait?

Je n’ai de leçon de morale à donner à personne. Suis une adulte et j’étais en confiance avec lui. C’était de même, pas inquiète pour deux cents et séduite par la perspective d’un grand lit comme terrain de jeux et d’exploration.

J’aime compiler les expériences et celle-ci me plaisait.

« J'aime mieux, par contre, t'avertir, je commence à être menstruée, des bonnes chances que je saigne un peu »

Il est parti à rire
Il s'en fichait complètement. Au fait non, il ne s'en fichait pas, il aimait ça encore plus.

J'ai apprécié la chose à sa juste valeur.
Ça m'a donné encore plus le gout de lui. 

J'aime l'assurance et la confiance d'un homme
J'aime le carnassier.

Ça m'excite encore plus que bien des choses.
 

(…)

C’est au valet du Westin dans le vieux Montréal que nous avons laissé la voiture.

Suis pas tant une cheap date et lui, c’est définitivement un chic type.

Des bagages?

Partir à rire.

Non, nous aimons voyager léger.

Même le valet riait.

Ça avait l’air de ce que ça avait l’air, un couple qui s’en va batifoler solide pour une nuit. J’avais l’impression d’avoir ça d’écrit en rouge dans mon visage et lui qui s’en amusait et qui en rajoutait exprès.

« Vous permettez que l’on passe devant vous pour faire le check-in? On a vraiment besoin d’une chambre. »

Et eux, le couple de chinois, de rire en nous laissant passer.

(…)

Un corps fort et trapu.

Poilu. Mâle.

Un pénis plutôt petit mais un plaisir évident de lécher l’autre.

Sans limite. Sans pudeur.

Rare que je laisse autant un gars me caresser. Mais lui, ça paraissait tellement que c’était son trip que j’avais l’impression que je lui faisais plaisir encore plus que quand moi je le touchais.

Très généreux. De sa bouche, de ses mains, de ses mots surtout.

J’étais magnifique, je sentais bon, je goutais bon. 

Il n’arrêtait pas de le dire et j’avais envie de le croire pour vrai.
Il aimait chaque centimètre de ma peau, voulait me voir, m’a découverte plusieurs fois. 
Il aurait pu me lécher le foie qu’il l’aurait fait.

Un jouisseur gustatif.
Puis, la conversation était bonne.
Intéressante. Fluide. Drôle.
 
Son épaule accueillante.
Son envie de chaleur plus grande encore que son envie de sexe.

(…)

S’endormir tard, se lever tôt.

Trop tôt.

Rire de se préparer dans cette chambre anonyme. Remettre le linge de la veille, utiliser les brosses à dents de service.

Descendre dans le lobby. 

-Belle nuit Monsieur?

-Oui, toute bonne chose ayant malheureusement une fin mais, pour cette nuit-là, on va se mettre une fin avec des points de suspensions...

Il avait ce sourire de l’homme heureux et confiant.
L'homme qui sait que nous allons nécessairement remettre ça.

Je l’ai ramené chez lui.