mardi 31 mars 2015

Chapitre 6?



Redescendre les escaliers.

Se faire saluer par cette lumière aveuglante de matin de printemps que les arbres nus ne peuvent retenir. Soleil sur la peau. 

Croiser un chat de ruelle venu mendier une caresse. S'arrêter pour le contenter un peu. Prendre le temps de s'arrêter. Avoir envie de prendre ce temps.

Se sentir bien et en accord avec soi-même.

Se sentir soi.

Sentir surtout que ce n'est pas nécessaire d'ajouter des chapitres à cette histoire. Que cette fin est belle en elle-même. Sentiment intense d'avoir surfé sur une belle vague venue mourir sur un bord de grève d'une ile magnifique.

Il m'écrira.

Je le sais.

Je lui répondrai.

Je réponds toujours.

On se reverra?

Je ne sais pas. 

Je ne sais même pas si je veux. 

J'aime les histoires qui finissent bien.

Ce serait tellement dommage de gâcher la fin.


"Juste un petit message pour te (re) dire tout le plaisir et la belle saveur qu'était cette soirée et nuit d'hier.
Je pense sincèrement que tu fais partie des personnes que c'est une chance de rencontrer.
Bien que cela sera compliqué sans doute de se revoir pendant que mon ami sera là pour les quelques semaines à suivre (un de ses amis français arrive lundi pour 3 semaines et il l'héberge dans sa chambre), le désir reste entier…."



lundi 30 mars 2015

Chapitre 5



Monter les escaliers.

Refermer la porte de sa chambre.

Des livres sur une petite bibliothèque qui accrochent naturellement mon regard. 

Chambre simple mais confortable. Grandes fenêtres. Le lit est fait. Un vélo dans un coin, une petite table basse, une carte du Canada avec un trajet tracé au feutre noir.

Il branche son téléphone. Met de la musique. Mots clés "sex relax". Je le saurais plus tard et ça m'a fait pouffer de rire quand il m'a dit ça. Ça me fait encore rire d'ailleurs. Je veux "sex relax" dans ma voiture!

Lumières ok mais que je vais baisser tout de même un peu.

J'ai la pudeur de mon âge.

Depuis le début ou presque, j'ai cette envie très forte de devenir un beau souvenir de voyage.
C'est une belle idée, je trouve, être un souvenir de voyage.

C'est sans doute la plus belle des idées, d'ailleurs. Se placer entre la première neige sur la ville, la découverte des escaliers extérieurs des maisons montréalaises, la vue depuis le Mont-Royal et le plaisir d'entendre mille fois les gens dirent "tu veux-tu"? Envie d'être intimement lié, pour lui, à cette période de sa vie de voyageur un peu égaré à Montréal dans cette fin d'hiver qui s'éternise.

Devenir ultimement le genre de souvenir de vieux qui tient chaud au ventre et qui fait sourire quand on  se prend à le caresser, bien des années plus tard.

Faire partie de la quête, être l'exotisme.

Savoir être sa première "québécoise" et du coup, prendre cela très au sérieux.

Je suis patriotique, de même, moi. Très hospitalière de nature. Fière d'être descendante de ce peuple chaleureux au cœur plus grand que nature. Une race de survivantes sur un sol aride.

Du coup, je suis toutes les Québécoises, l'espace d'une nuit.

(…)

Et, je n'arrive pas à trouver les mots pour décrire.

Ou ils sont trop pauvres et fades pour partager ce qui a été.

Faudrait que je poétise, ultime recours.

Il n'y eu pas une nuit au fait, mais mille nuits dans une.

Nuit blanche faite de parcelles de multiples moments.
Pleine.

Ah oui, du sexe très certainement, mais il fut là presque comme un accessoire. Comme si le but était ailleurs que dans la quête du plaisir purement physique.  Il y avait, cette nuit-là, que deux humains contents, avant tout, de se mettre à nu et de s'enrouler de l'autre. Un partage éphémère d'humanité.

Se respirer le visage, s'assoupir dans un souffle, bouche contre bouche. Laisser ses mains s'égarer dans les plis, les recoins. Masser. Toucher inlassablement. Parler aussi. Entre chacune des fois. Parler comme seuls les amants peuvent le faire. Avec l'odeur de l'autre en soi. 

Voix douces et rauques de nuit.

Maladresses aussi. De ma part. De la sienne. Nous n'étions pas dans un film de soft porn. On était dans la fucking de vraie vie avec tout ce qui vient avec. Maladresse de premières fois où le corps de l'autre demeure une énigme. 

Lâcher prise, un peu.

Trouver que la lumière éteinte c'est un peu plus facile. Se sentir bien dans le regard qu'il pose. Savoir que nous sommes heureux d'y être, ensemble, dans ce moment présent.

Savoir aussi avec certitude que ça pourrait finir là, comme ça et que ça serait vraiment beau.
L'histoire qui fait du bien est dans la boite.
Peu importe la suite des choses.

-Tu veux que j'y aille
-Chut, je ne veux pas que tu partes.

Le sentir sincère. Le croire.

Se réveiller. Le voir lever un œil sur moi.

-T'es belle le matin

Rire parce qu'il est un tantinet menteur.
Faire l'amour dans le jour naissant avec ce soleil qui pénètre la chambre.

Pour la dernière fois.
Pour la dernière fois?

Avant que je ne parte.





Chapitre 4



S'écrire.

Parce que c'est séduisant. 

Souvent bien plus érotique que d'autres choses. Pour moi, mais pour tout le monde aussi même si les gens ne s'en rendent pas toujours compte. Il y a un pouvoir puissant dans la correspondance. Très. C'est une arme de destruction émotive et charnelle.
Massive

C'est un jeu. Celui du chat et de la souris. Du non-dit. Un pas de deux. Un ballet. 

Je suis une fille de mots mais c'est le plus souvent entre les lignes de mes silences que je parle le plus.

Pas simple par contre de trouver le ton. Errance un peu. Étrange aussi parce que je n'écris pas à un ami, ni à un possible chum. J'écris à un gars avec qui je vais faire, presque assurément, l'amour la prochaine fois que je vais le voir et que je ne connais que depuis quelques heures, sans plus. Un peu étrange pareil. Trash? Érotico-timide? Échange sur la littérature québécoise? Discussion sur le sens de la vie? Partage de vécu? Pas simple de construire un fil conducteur.

Je connais le couple monogame stable depuis mes 16 ans. Suis bonne en TA pour être la blonde de quelqu'un car je connais tous les codes. Là, j'avoue que je tâtonne un peu pour viser le plus juste possible. 

Mes mots le séduisent. Pouvoir enivrant qu'il me dit. Ils sont surtout chargés du sens que je veux bien leur donner. 

Je m'amuse aussi. Outre le lit, c'est mon terrain de jeu préféré.

On se construit un désir. Des attentes. Des bribes de partage de soi entrecoupées de liens vers de la musique qui nous parle. Je construis ce que je trouve important pour ne pas avoir cette impression de n'être qu'un trip de cul. Je construis aussi parce que j'aime les histoires qui sonnent bien et que, même si elles doivent finir rapidement, sont riches d'un tas de petites particules de plaisir. J'aime les histoires pleines et qui laissent des traces positives chez moi comme chez l'autre. Et j'ai surtout crissement besoin, en ce moment, d'une belle histoire fut-elle fugace.

Ce sera vendredi. Parce que nous aurons toute la nuit et plus. J'aime avoir du temps pour faire l'amour même si je laisse à l'autre toutes les portes de sorties possible pour qu'il ne se sente pas piégé. 

Tu sais, ce n'est pas obligé d'être toute la nuit, j'ai une voiture et je peux partir n'importe quand. Je peux aussi venir un soir de semaine, comme ça, si tu es tanné, tu sais que je vais nécessairement devoir partir de bonne heure.

Il trouve ça drôle ce qui ne l'est, en définitive, pas vraiment.

Je m'efforce vainement, de baisser ses attentes. Je suis une femme de 43 ans, pas certaine qu'il se soit déjà ramassé au lit avec ça. J'ai eu des enfants et même si je compense par de l'humour et une relative créativité horizontale, je ne me fais pas d'illusion et je ne veux surtout pas que l'autre s'en fasse. Et parce que toute habillée, mes failles ne paraissent pas, on ne discerne que peu toutes les marques que je porte sur moi.
En moi surtout.

Je me protège dans tout ça. Le sait-il?

Je me construis une carapace qui va me permettre de survivre à toutes les situations.
Je suis de celles qui restent lorsque le monde explose.
 
Au fait, c'est bien plus rassurant pour moi de coucher avec un homme de 50 ans. Qui aurait peut-être eu une femme, des enfants…qui en aurait sans doute vu bien d'autres. C'est moins confrontant, moins susceptible d'être blessant surtout.

Vendredi donc.

On ira prendre un verre avant.

J'aime ça. Parce que bon, même si la finalité est de se retrouver au lit, il y a tout un enrobage avant. C'est comme déballer un cadeau en faisant un peu attention de ne pas scrapper le beau papier.

Vendredi glurp.

Appréhensions tout de même. J'ai l'impression que je m'en vais prendre l'avion avec ce mélange d'excitation sur la perspective du voyage et de crainte sur les risques possibles de foncer dans une quelconque montagne alpine. 

19 heures, top chrono suisse.
Je suis rarement en retard.
Ou si peu souvent.

Il me rejoint dans ma voiture. Je le trouve toujours aussi beau, il sent toujours aussi bon et ses lèvres sont toujours aussi magnifiquement adéquates. Nos bouches sont contentes de se retrouver, nos yeux aussi. 

J'ai mis de la brume dans ses lunettes au sens propre et je lui dis en sachant pertinemment que pour lui, ça n'a pas d'autres références culturelles. 

On va boire un verre. Il me tient la taille en marchant. Il tombe des peaux de lièvres sur Montréal, pour de vrai et c'est juste beau.

J'aime ma ville et je suis fière de la voir, ce soir, si magnifique.

La distillerie sur Masson.

Un chouette bar avec une banquette en coin que nous squatterons quelques heures. Et on se parle, et on se touche, et on se frôle, et on sait où on s'en va sans être encore trop pressés d'y être. Certitude d'avoir du temps et que le chemin est aussi agréable que le but.
On a toute la nuit et à la limite toute l'éternité.
Conscient, tous les deux, du plaisir de l'attente et de la richesse du moment.
C'est un voyageur, ce jeune homme, qui s'en va en juillet en autobus jusqu'à Victoria, juste pour le plaisir de regarder défiler le paysage devant ses yeux pendant 3 jours. Un contemplatif.

Je me sens séduisante dans son regard. Il a ce tour, ce pouvoir de faire sentir une femme vraiment femme, belle, intéressante, attirante.

Pas si commun parce que ça ne s'apprend pas. C'est de même.

On parle de moins en moins et on s'embrasse de plus en plus. L'arrivée de nouveaux clients pour partager la banquette nous fait quitter le bar…

De toute manière, l'enregistrement était terminé.
C'était le temps de prendre l'avion.

Chapitre 3


Nous devrions tous commencer nos rencontres par embrasser l'autre.
Me semble que ça serait plus simple comme ça.
Découvrir sa bouche délicatement, en faire le tour avec sa langue, apprivoiser les saveurs. Voir si harmonieusement nos salives se plaisent. Ensuite on parlera dans un échange teinté de ce contact intime.

Création instantanée de liens. Speed fusion.

Dans son oreille, c'est ce que je lui chuchote.


Le couple à côté de nous et qui en sont aussi à leur première rencontre devrait vraiment s'embrasser. Ils verraient tout de suite si ça fitte…ouais, j'aurais dû t'embrasser dès mon arrivée finalement.


On rit beaucoup.


Ses lèvres sont définitivement confortables, pulpeuses, avenantes.
Il sent bon la vanille et le bois. Discrète odeur mais qui restera longtemps sur moi.
Il me sent beaucoup aussi, des mains qui frôlent mon visage, la nuque, qui écartent mes cheveux qui me tombent devant les yeux. Doux.

On recommande à boire.

Une Dom juan pour lui…juste pour être concept.

On rit.

Nous sommes seuls, au milieu de tous. Comme tous les gens qui se découvrent pour la première fois. Le ton change, la discussion s'installe entrecoupée d'exploration du visage de l'autre.
Je lui dis que je n'aime pas les jeunes, enfin, en général, et que mes fantasmes sont peuplés d'homme murs et grisonnants. Je n'ai pas cette envie d'initiatrice, de montreuse de choses, de maitresse d'école. Zéro ma zone de confort habituelle. Il sera mon premier jeune (et de loin) et mon premier français aussi. Il hésite entre se sentir flatté ou intimidé par cette responsabilité de porter la réputation de son peuple au lit. Il rigole naturellement car il ne semble intimidé par rien.


J'ai payé, en bonne féline que je suis.

Il a ri.


Nous avons ensuite changé de terrain de jeux et sommes allés manger question de traumatiser un peu les serveurs vietnamiens si pudiques de nature. 

Il a payé, en bon mâle qu'il est.

J'ai ri.


Sur le trottoir, il est plus grand que moi.
Je ne vois rien de son corps. Ses mains sont discrètes même si sa bouche se fait insistante.

-Qu'est-ce qu'on fait?
-Je te ramène chez toi et on avisera.


Je le ramène, on s'embrasse aux feux rouges. J'hésite entre trouver cela vraiment chouette ou vaguement ridicule. Un conducteur nous klaxonne gentiment comme pour un mariage. J'hésite à l'amener sur le Mont-Royal pour faire du necking dans le char comme je faisais à 15 ans. Ce serait très montréalais comme expérience et j'ai l'âme d'une guide touristique mais je trouve vraiment que j'ai passé l'âge.

Il y a un âge ?

Tu ne me croiras pas, je le sais, mais tu es belle

Je ris. Non, je ne te crois pas, je ne crois plus personne de toute manière, mais c'est gentil.

-Tu veux monter?

Est-ce que je veux monter? Oui, naturellement. Mais je sais aussi ce que je risque de ressentir après. Je me connais trop et je me sais fragile aussi.

-Hum, honnêtement, je vais monter si tu as envie de clore l'affaire ce soir car j'aime terminer des chapitres. Mais, personnellement j'aime mieux attendre une autre fois. C'est plus moi d'attendre un peu. J'aime construire le désir et les one night du genre rencontre-baise-départ en quelques heures, je ne sais pas trop comment faire.

Ceci dit, j'ai envie de faire l'amour avec toi et déjà merci pour ça.

-On se revoit, qu'il me dit alors…ça me va aussi d'attendre.

Je suis une expérience pour lui.
Il en est une pour moi.
Il m'oblige à jouer avec l'élastique de ma morale.
À modifier mes schèmes de relations. À ne pas avoir d'attentes et à me jeter dans le vide.
C'est un peu comme partir en voyage. Attrait de la découverte, peur de l'inconnu, un certain lâcher prise sur les évènements, ne pas savoir de quoi sera fait demain, gouter autre chose.
L'espace de quelques heures.
Il est mon voyage et je suis le sien.