mardi 14 avril 2015

Chapitre 7



-mon ami sera à Québec pour deux nuits.
-C'est une invitation?
-Dans tous les sens du terme, oui.

Se revoir.

Parce que c'est toujours mieux les secondes fois.

Prendre un verre avant, s'embrasser dans la rue, sentir cette envie dès que nos lèvres se touchent. Bien plus présente car construite sur les souvenirs d'une autre nuit. 

Réminiscences qui font vibrer. 

Parce qu'il y a déjà des repères. Cette façon que nos corps ont de s'emboiter, de se retrouver. Ce plaisir de se frotter l'odeur. Le tour de nuque, le lobe des oreilles, le coin des yeux, retrouver la douceur. Expectations de plaisirs à venir. 

Confiance que peu importe, ce sera bon dans cette certitude acquise par l'expérience que le meilleur se trouve souvent entre la première fois et l'habitude.

Marcher en riant. Se raconter un peu. Si peu. Ne pas trop creuser dans la vie de l'autre. Ne pas chercher à savoir ce qui n'est pas tant nécessaire. La saveur de l'instant éphémère ne demandant aucune enquête. Demeurer cette inconnue sans passé, rester ce paradoxe du présent. Ne pas se définir.

Recroiser le chat en remontant les marches. C'est le chat de la maison et il nous accompagnera en maitre dans l'appartement.

Ce sera jazz-relax pour cette nuit.

Ce sera de l'huile d'épinette sur le corps et du coureur des bois dans la bouche.

Suis concept.

Et, ce sera moi qui lui offrira la nuit. Parce que je l'ai décidé

-Je n'ai jamais couché avec une femme qui a pris le temps de me caresser longuement, m'avait-il déjà dit.

Ça tombe bien, j'ai le plaisir de donner que me confère mon âge.

Donner. 

C'est tellement facile.

Bien plus que de recevoir. 

Tellement plus.

J'ai le plaisir de donner que me confère surtout mes blessures.

Dans le don, je suis forte, puissante, en contrôle. Je domine, j'organise, je me rassure dans le plaisir de l'autre. Peur de déranger, d'être un fardeau, un poids, de tanner, de ne pas correspondre lorsque c'est le temps de recevoir. Il me faut être parfaite pour que l'autre ait envie de se coller à moi.

Pour me faire lâcher prise, faut être doué et patient, et insistant, un peu. Mais c'est surtout dans ma tête que le travail doit se faire. Je le sais bien.

Je me livre si peu dans une savante illusion de transparence.

Aube grise et pluvieuse après une nuit de vents déchainés dehors et de sensualité dedans. Faire durer le plaisir dans l'attente. Prendre le temps. Se retenir, le retenir. Plusieurs fois.

Dormir peu.

(...)

J'aime les chambres, le matin, après une nuit à faire l'amour.

Les vêtements par terre, les draps défaits, les verres à moitié vides, les chandelles mortes, les odeurs de sexe et d'huile qui flottent dans l'air, les bijoux qui trainent n'importe où, le foulard dans un coin, le soutien-gorge dans l'autre, les culottes sous le lit, les mouchoirs par terre, les enveloppes de condom sur la table de chevet. J'aime observer les restants, refaire l'histoire d'une nuit que me raconte chaque objet. Fantasme puissant de femme de chambre. Réécrire les unions éphémères des nuits passées à s'envoyer en l'air. Instantané unique d'un moment intime.

J'irai le conduire au travail. 

Je ramasse la chambre pendant qu'il se prépare. Refaire le lit, replacer comme si personne n'avait jouit, comme si rien n'était arrivé. Effacer les traces.

J'observe l'univers de l'autre, la vue qu'il a de sa fenêtre, les papiers sur la table, les livres qui trainent, les vêtements qui sèchent,  le permis de conduire international sur la commode où je lis son deuxième prénom, Ange.

J'observe une autre vie.

Et je m'excuse d'avoir bougé toute la nuit, d'être une si mauvaise dormeuse qui voit s'égrainer toutes les heures et qui attends impatiemment l'aube pour embraser l'autre.

Je m'excuse d'être.

Comme toujours.

-La prochaine fois, c'est moi qui donne, me dit-il. Me laisseras-tu faire?

Je souris.

Il te faudra, jeune homme, trouver les mots et le chemin.
Il me faudra te guider dans mes failles et mes doutes, dans mes travers et mes redoux.
Il me faudra laisser tomber quelques barrières.
Il te faudra savoir m'y guider, surtout.

Consciente de la nécessité d'y arriver.
D'être couchée et de me laisser aimer.

Envie d'y être déjà.

On surfe toujours sur la vague des possibles et du rien.

Pluie sur Montréal lorsque je le dépose en ville.



1 commentaire:

  1. Sans raconter, si tu préfère le garder pour toi, les odeurs ont-elles été unifiées hier ?

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